Le courage
" Il faut commencer par le commencement. Et le commencement de tout est le courage. "
Le pardon
En écoutant Avoir raison avec Vladimir Jankélévitch (Le courage, Le pardon, La musique, Le temps, L'amour) par Adèle Van Reeth, je me demande comment Catherine Clément, qui a connu et travaillé avec Jankélévitch, peut passer à côté de la distinction entre l’homme et ses idées. Même si Jankélévitch défendait l’idée que l’homme et sa pensée ne font qu’un, il s’est retrouvé face à sa propre pensée et ne s’y est pas reconnu quand il s’est soudain cru incapable de pardonner (en réalité il n’y avait ni situation précise, ni individu identifié ni demande de pardon et donc rien à pardonner, juste quelque chose qui semblait soudain relever de l’inhumain, notion encore plus dangereuse que l’impardonnable.)
Comment cette philosophe (C. Clément) peut déclarer avoir été « eue » par Jankélévitch qui se lie d’amitié avec un jeune allemand après avoir rayé de sa vie (et censuré dans son entourage) pendant des années l’Allemagne et tout ce qui s’y rapportait? Comment ne peut elle pas comprendre le subjectif, l’irrationnel, la douleur, à la base de cette posture?
La thèse de Jankélévitch sur le pardon n’est à mon avis pas remise en cause par sa posture sur l’Allemagne car elle ne relève pas de l’absence de pardon mais du blâme. Il se met soudain à blâmer l’Allemagne pour le nazisme, pour l’holocauste. Il va jusqu’à blâmer Mozart, pas sans ignorer qu’il n’y était pour rien. Qui alors est en posture de demander pardon? Lui, pour un pareil amalgame. Mais il n’en est pas là. Lui veut comprendre, il voudrait pouvoir pardonner, mais il se rend compte qu’il n’y a rien à pardonner. L’horreur est trop grande, l’absence de repentir encore pire. Il y a trop de coupables et pourtant aucun responsable. Il lui en faut un, ce sera l’Allemagne. C’est puéril, illogique, c’est foncièrement humain. Il n’est, au moment où il prend cette décision, et à chaque fois qu’il l’entérine, pas Jankélévitch le philosophe, mais Jankélévitch l’homme.
Jankélévitch qui ne pardonne pas ne remet pas en cause, selon moi, la thèse de Jankélévitch sur le pardon. Il n’y a pas de réel paradoxe, juste la preuve qu'envers et contre tout (et toutes nos plus hautes idées) nous restons humains. L’impardonnable c’est la blessure encore ouverte. La blessure du nazisme trop vive, les actes de ces hommes trop incompréhensibles et dans une temporalité trop proche de sa propre vie, de sa propre mortalité, pour envisager un pardon. Car le pardon ne peut être que dans l’instant, dans la relation. Ce que fait Jankélévitch en rayant les allemands de sa vie c’est tenter de continuer à vivre, trouver une façon de continuer à aller de l’avant malgré le passé, puisque l’irréversibilité du temps ne lui permet aucun autre choix. Ce qu’il a vu, vécu, il ne peut pas le comprendre, alors il ne veut pas y penser. Il pourrait pardonner, mais qui lui demande pardon? Jusqu’à ce qu’il rencontre ce jeune allemand qui lui apprend justement, à pardonner. Car qu’a t-il fait d’autre, en répondant à ce jeune homme, puis en se liant avec lui, que de pardonner « aux allemands », et surtout de se pardonner à lui même? Jankélévitch était un homme brillant. Il savait que Mozart n’avait rien à faire avec le nazisme. S’il refusait d’écouter sa musique ce n’est pas qu’il ne pouvait pas lui pardonner quoi que ce soit, c'est parce qu'intellectuellement, moralement, il n’arrivait pas, dans son coeur, dans sa douleur, à détacher le nazisme de l’Allemagne et des allemands. Pas encore. Ce boycott des allemands n’a rien de philosophique, c’est entièrement émotionnel, entièrement humain. Ce que n’est pas la philosophie puisqu’elle est au dessus de l’homme. Nos idées sont toujours au-dessus de nous, nous tendons vers nos idéaux, mais nous restons humains, malgré tout.
Je ne suis pas philosophe. Je ne découvre Jankélévitch qu’aujourd'hui à travers les émissions que je viens d'écouter, mais plus j’écoutais lesdites émissions plus sa pensée m’était familière. Toute philosophie, toute idée poussée un peu loin semble paradoxale mais si l’on y regarde de plus près le paradoxe n’est pas dans l’idée elle-même mais dans la confrontation de celle-ci au réel, à la vie. Car une idée n’est pas vivante, l'homme qui la pense et la formule si. Le pardon dans la pensée de Jankélévitch est parfait, simple (dans le sens de clair, pas de facile), évident. Il peut le définir, l’expliquer, l’appliquer… en théorie. Le pardon dans la vie de Jankélévitch c’est une autre histoire.
Ces actes impardonnables le sont-ils vraiment, et pourquoi? Si chacun des responsables se repentaient réellement, sincèrement, et demandaient pardon leur refuserait-il son pardon? Ce qui est impardonnable c’est de ne pas demander pardon, mais alors il n’y à rien à pardonner, et donc rien d’impardonnable. Voilà encore un beau paradoxe. Jankélévitch est face à l’atrocité et à l’absence de repentir, c’est ça qui lui donne l’illusion de l’impardonnable. En rayant de sa vie l’Allemagne Jankélévitch fait un amalgame, qui va à l’encontre total de sa philosophie. Il n’y a pas de paradoxe, sa pensée est claire, c’est simplement que son action ne reflète plus sa pensée. Il ne peut pas pardonner à un/des individus (entre autre car personne ne se repent), alors il « punit » un peuple.
Il voudrait pouvoir avancer, pouvoir se dire que la vie continue et que les allemands ne sont pas tous nazis, écouter Mozart sans avoir le coeur au bord des lèvres et l’océan au fond des yeux. Mais il ne peut pas. Tout lui rappelle ce qu’il a vu, vécu. Alors il ferme les yeux. Il n’est pas possible que des hommes aient fait ça. Il est un homme, jamais il n’aurait fait ça, ce qui ont fait ça sont inhumains. Et pourtant ils sont humains et il faut vivre avec cette idée. Il ne le peut pas. Il ne peut pas non plus les punir, ce n’est ni son rôle ni sa place. Tout ce qu’il peut faire c’est de ne pas leur pardonner. Mais ils ne réclament pas son pardon. Il veut pourtant les punir, il veut exprimer son incompréhension, il veut que leur immoralité soit mise à jour. Se contenter de les "boycotter" eux, ça ne suffit pas. Alors il boycotte leur peuple. C’est un acte de révolte, une façon de réagir, de rester vivant, de dire l’ineffable, de dire à celui qui ne demande même pas pardon qu’il est impardonnable.
Ce boycott n’a rien à voir avec sa philosophie, sa pensée, et tout à voir avec ses émotions. Ce n'est pas Jakélévitch le philosophe qui agit de la sorte mais Jankélévitch l'homme. Comme il ne peut se détacher de sa pensée il ne peut faire cette distinction mais nous qui ne sommes pas lui le pouvons, et C. Clément le devrait. Ce boycott c’est un cri de douleur, un geste irrationnel car la raison n’a rien à faire dans l’holocauste. La pensée de Jankélévitch n’a rien de paradoxal, pas son idée du pardon en tout cas. Le paradoxe, je le répète, est entre l’idée et l’homme mais ce n’est pas un paradoxe, c’est simplement l’homme qui n’est pas à la hauteur de son idéal. Car en réalité s’il avait suivi son raisonnement il aurait vu qu’il n’y avait rien d’impardonnable puisque pas de pardon demandé. Cette situation n’entre tout simplement pas dans la catégorie du pardon.
Ce qu’il vit c’est sa douleur, qu’il n’arrive pas à regarder en face. S’il avait était plus rationnel, moins blessé, il aurait rejeté le nazisme et non l’Allemagne, s’il avait été un saint il aurait pardonné les nazis qui auraient demandé pardon. Mais il était blessé, irrationnel, et humain, alors il les a tous mis dans le même sac et il ne les a plus regardés, plus écoutés.
Et puis, malgré tout, le temps a passé. Un jeune allemand courageux et innocent lui a écrit. Il a reconnu cette innocence, et il a commencé a guérir sa blessure, en secret, car son refus de l’Allemagne faisait maintenant trop partie de lui. Il aurait pu, publiquement, changer sa position, n’en a t-il pas eu le courage, ou pas vu l’utilité, je ne suis pas sûre qu’il nous soit nécessaire de le savoir. Jankélévitch était un grand penseur, mais avant tout un homme, ni petit, ni grand, simplement humain.
La vraie situation de pardon dans cette histoire, et le moment où il a été totalement en accord avec ses idées, c’est quand ce jeune allemand lui demande des comptes et qu’il reconnaît son innocence. Il y a 2 pardons, celui du jeune allemand qui pardonne à Jankélévitch de l’avoir blâmé sans raison (mais est-ce réellement un pardon puisque Jankélévitch ne demande pas pardon), et Jankélévitch qui pardonne à ce jeune allemand. Mais qui lui pardonne quoi? D’être allemand? (et est-ce réellement un pardon puisque lui non plus ne demande pas pardon, il n'a en réalité aucune raison de le faire)
Il faudrait que je lise Jankélévitch pour poursuivre correctement mon idée, mais quelque chose qu’il n’a peut être pas eu la chance d’apercevoir, car la guerre a ouvert en lui une blessure trop profonde qui l’a empêché de poursuivre son idée « objectivement » - même si l’objectivité n’existe pas, disons alors plutôt « théoriquement » - c’est qu’on ne pardonne au fond toujours qu’à soi-même, ou pour soi-même. Ce qui se passe au moment où Jankélévitch entame une relation avec ce jeune allemand, c’est qu’il recommence à vivre normalement. Ce n’est pas un pardon, c’est juste le temps qui passe…
Le pardon n’est qu’un reconnaissance de responsabilité. On le demande pour reconnaître nos torts, on le donne quand il n’est pas demandé pour assigner la responsabilité.
On ne demande sincèrement pardon à l’autre que lorsque l’on a compris notre responsabilité réelle et que l’on s’est pardonné à soi-même.
Si l’on refuse de demander pardon c’est que l’on refuse sa propre responsabilité.
S’il l’on refuse de pardonner c’est que l’on refuse d’accepter la situation ou que l’on pense que le repentir n’est pas sincère. Et quand la situation est trop « inhumaine » on a toujours l’impression que le repentir n’est pas sincère.
Le temps
(idées en vrac)
« S’il disposait d’un temps infini, l’homme serait stérile ».
C’est quand on a l’impression de ne pas avoir le temps qu’on fait le plus de choses.
Quand on pense avoir le temps on ne fait rien, ou moins.
Il faut avoir l’impression de ne pas avoir de temps pour avancer plus vite.
Il faut avoir quelque chose à perdre pour le défendre.
Il faut avoir peur de la mort pour se sentir vivant.
Quand on n’a pas peur de la mort il est plus difficile de trouver des raisons de vivre.
Mais quand on n’a pas peur de la vie il est difficile de trouver des raisons de mourir.
Quand on n’a peur de rien, vivre devient facile mais ennuyeux.
Pour sortir de l’ennui il faut s’inventer de nouvelles peurs, ou se rappeler que l’ennui n’est qu’un déguisement pour la peur d’être avec soi-même.
Chaque instant est une première et une dernière fois.
Ce qui manque est toujours présent, sinon on n’en ressentirait pas le manque. Si j’ai conscience de ce qui manque c’est que ce qui me manque existe. Si ce qui manque n’existait pas cela ne pourrait me manquer. Si ce qui manque, la présence, le presque rien, c’est l’Essence, alors l’Essence existe, sinon je ne saurais pas qu’elle me manque.